Supply Chain Manager, pour contribuer à faire prendre les meilleures décisions à votre entreprise, vous devez maîtriser vos flux financiers. Pour ce faire, vous ne devez surtout pas raisonner en coûts complets mais comparer le cash flow de divers scénarios.
Pour prendre les meilleures décisions, le Supply Chain Manager doit maîtriser les flux financiers de la Supply Chain. Moins connus que les flux physiques, les flux financiers accompagnent la Supply Chain. Ils constituent une Supply Chain virtuelle qui nourrit la Supply Chain physique. Ils s’alimentent chez les banquiers et chez les actionnaires. Ils rémunèrent le personnel permanent comme le personnel occasionnel. Ils financent les fournisseurs de capital fixe (machines et de bâtiments), comme ils servent à payer les fournisseurs de service et de matières.
Ces flux financiers circulent, mais ils peuvent aussi ralentir, se dissimuler, se reposer, s’endormir au sein des stocks. C’est là que le Supply Chain Manager les guette, cherche à les débusquer, à comprendre leur utilité.
Des flux financiers provenant des banques et des actionnaires
Ces flux financiers proviennent des banques d’une part. Les banques financent les petits risques à de petits taux. Elles financent les stocks dans lesquels leur argent reste facilement liquéfiable. Actuellement, les banques facilitent la constitution de stocks à des taux proches de 2%, en augmentation constante.
Ces flux financiers proviennent aussi du capital. Et là le Supply Chain Manager va devoir justifier les investissements qu’il présente aux actionnaires. Ces investissements devant être rentables pour eux. Les actionnaires financent les risques élevés à des taux élevés. La rentabilité demandée par un actionnaire avoisine souvent les 10%, voire 20% ou 30%.
Savoir gérer adroitement flux et stocks
Le Supply Chain Manager doit donc gérer adroitement flux et stocks pour optimiser la composante financière de son métier. Il lui faut gérer en ménageant d’autres composantes de l’entreprise, dont les objectifs et les pratiques sont différents : la comptabilité de l’entreprise, par exemple, le système d’information, les KPI d’autres fonctions.
Le coût complet mélange Capex, Opex et BFR
Le comptable parle de coûts, selon des normes qui permettent aux analystes financiers de comprendre le « business ». Malheureusement, les coûts du comptable ne permettent pas de gérer le cash. Et le cash, c’est le trésor du Supply Chain Manager. Où sont les différences ?
Le comptable et la comptabilité, parfois le contrôleur de gestion, parlent de coût complet. Ce dernier mélange le cash à dépenser et le cash déjà dépensé. Il amalgame Capex, Opex et BFR. Par exemple, le coût de production sur une ligne de fabrication de madeleines accumulera :
- une partie de l’investissement dans les fours qui servent à cuire les madeleines,
- une part des salaires de gens très loin de la production, comme le directeur de l’usine ou le gardien,
- une quote-part du bâtiment,
- et enfin le personnel directement impliqué dans la fabrication.
Comparer la différentielle de cash entré/ sorti de divers scénarios
Or ce n’est pas ce dont le Supply Chain Manager a besoin pour savoir s’il doit planifier l’usine en 3×8 ou en 2×8. Ou s’il doit faire revenir le personnel le week-end. Il a en fait vraiment besoin de la différentielle de cash sorti et entré (le cash flow) entre les divers scénarios qu’il envisage. Le directeur de l’usine sera payé, quel que soit le régime de travail de ses employés. On ne versera pas un sou de plus aux machines, déjà payées au fournisseur. La matière ne vaudra pas plus cher dans un régime de travail ou un autre. Ce qui changera, c’est le coût « variable » (parce qu’il change justement), c’est-à-dire l’argent, le cash versé aux employés. Travailler en 3×8 coûte plus cher à l’employeur que le 2×8, mais moins cher que le travail le week-end. Pour le Supply Chain Manager, le seul indicateur pertinent est la variation de cash, qui change selon les scénarios. Et un Supply Chain Manager doit en permanence gérer, comparer des scénarios.
Le cas de l’entrepôt « gratuit »
Par exemple : comment évaluer le coût du stockage ? Si je stocke dans l’entrepôt dont je suis propriétaire qui a de la place ou si je stocke dans l’entrepôt d’un prestataire, dois-je considérer que mon coût de stockage est le même ? Bien sûr que non. Dans le premier cas, mon entrepôt est gratuit. L’actionnaire a déjà réglé le fournisseur depuis des années. Maintenant mon entrepôt est gratuit. Plein ou vide, c’est trop tard, le cash est parti ! Par contre, chez un prestataire, je suis en régime variable : je paie à la palette stockée pendant la durée du stockage. Si je compare mes 2 scénarios, dans le second je dois sortir du cash pour régler les factures du prestataire. Dans le premier, je ne sors aucun cash supplémentaire.
Du calcul de la rentabilité des investissements
Mais alors, un entrepôt est-il vraiment gratuit ? Mes machines, mon usine sont-elles gratuites ? Certainement pas ! Ils deviennent gratuits une fois l’investissement effectué. Mais avant cela, le Supply Chain Manager doit savoir si cela vaut le coup – le coût – de débourser du cash pour les acquérir. C’est ce que l’on appelle le calcul de la rentabilité des investissements (capital budgeting). Les financiers et les mathématiciens ont travaillé pour parfaire les techniques de calcul. Elles s’appuient toutes sur le cash et la comparaison de scénarios. On ne peut pas choisir un investissement sans comparer des scénarios, comme on ne peut pas choisir un régime de travail pour son usine sans comparer les différences de déboursement et d’enregistrement de cash entre scénarios.
Raisonner en Valeur Actualisée Nette des cash flows générés
Choisir un investissement ou sélectionner le bon investissement doit se faire par la technique du calcul de la VAN (Valeur Actualisée Nette). Non ce n’est pas une blague ! Cette technique consiste à comparer les différences d’échelonnements de cash entré et sorti entre scénarios, et à les ramener à la valeur d’aujourd’hui. On parle de Valeur Actuelle Nette d’un scénario par rapport à l’autre. Elle doit être positive pour justifier un investissement. Elle tient compte du cash qui entre et du cash qui sort. Le cash, uniquement le cash. Elle tient compte aussi de la rentabilité demandée par l’actionnaire. Un euro déboursé aujourd’hui n’a pas la même valeur qu’un euro l’an prochain. Un euro de l’an prochain ne vaut que 90 centimes d’aujourd’hui si mon actionnaire me demande 10% de rentabilité. Donc si je débourse 950K€ aujourd’hui et récupère 1M€ euro demain, ce n’est pas rentable. J’ai perdu 50K€. C’est pour cela qu’on l’appelle Valeur Actuelle ou Actualisée. Et comme il faut aussi tenir compte des impôts (cash-flow négatif) et des économies d’impôts fournies par les amortissements comptables (cash-flow positif) pour obtenir un résultat net, on parle de Valeur Actuelle Nette des cash-flows générés. Et le «pay-back » est le temps qu’il faut pour que mon cash sorti équilibre mon cash entré en vision actualisée. Ce n’est pas la division simple de mon investissement par ce qu’il me rapporte tous les ans en économies. Cette division ne tient pas compte des souhaits de rentabilité de l’actionnaire, ni de l’inflation, qu’il faut d’ailleurs aussi intégrer.
Exemple d’une entreprise industrielle qui ferme la mauvaise usine
Il y a quelques années, nous avons travaillé pour une société industrielle. Elle comptait plusieurs usines dans le monde. L’une de ces usines était une joint-venture avec un groupe industriel japonais. L’usine française, bénéficiant d’investissements récents, aurait pu super performer en réorganisant le pilotage de ses flux pour les synchroniser (via l’Onde Verte, spécialité de Diagma). On a préféré la fermer pour privilégier une usine chinoise vieillotte, aux conditions de travail médiocres, parce que très réactive et moins chère en coûts complets. On a aussi conservé l’usine sud-américaine, super technologique, joint-venture, proche des matières premières exploitées dans des conditions écologiquement dangereuses. En effet, bien que très chère en coûts de transport (le cash à débourser réellement étant supérieur au coût variable à payer en restant en France), qu’on la charge ou pas, il fallait payer le partenaire chaque année. Un peu comme lorsqu’on va au cinéma, et que l’on reste devant un mauvais film parce qu’on a payé. Double peine ! En fait, on a payé, tant pis, c’est trop tard, le passé est passé. Ne pas en tenir compte puisque le coût de cette usine est le même dans tous les scénarios. L’entreprise a fait le mauvais choix, ce qui lui a coûté cher. Un fleuron de l’industrie française, hélas !
Une autre entreprise ne maximise pas son mix produit fabriqué
Un autre exemple concerne une entreprise qui fabrique 4 familles de produits, A, B, C, D à partir d’une matière première unique. Cette entreprise considère que B, C et D sont des coproduits de A. Seul B est systématiquement produit avec A. On peut aussi fabriquer C ou D, mais pas en même temps. L’entreprise a donc décidé d’affecter tous les coûts usine aux familles A et B. Ces 2 familles absorberont les coûts de production. Ainsi, il faut produire le plus possible de B en même temps que de A pour absorber les coûts. Quand les autres familles sont produites, elles apportent un bonus puisqu’elles ne coûtent rien à fabriquer. Malheureusement, le produit B limite de manière importante les quantités que l’on peut produire de C ou de D. Circonstance aggravante, le produit B a un prix de vente 3 fois plus faible que les autres. On peut en vendre beaucoup, mais à quantité de matière première égale, il rapporte peu. On a donc intérêt, si on raisonne en cash, à en jeter (ce qui ne changera rien au cash dépensé) pour produire plus et vendre plus des familles C et D. On cherche à maximiser le chiffre d’affaires, le cash entré, plutôt que de minimiser des coûts, qui pour l’essentiel sont fixes.
Comparer le cash flow de divers scénarios pour prendre les bonnes décisions
On voit dans tous ces exemples que le Supply Chain Manager doit se concentrer sur le cash flow et la comparaison de scénarios lorsqu’il prend des décisions. Et c’est comme cela qu’il faut, peu à peu, amener l’entreprise à gérer les flux : par la comparaison des entrées et sorties de cash entre scénarios.
Jean-Patrice Netter
Président de DIAGMA
Jean-Patrice Netter, Président de DIAGMA