Le 6 mars, DIAGMA a organisé sa première Matinale. Elle a réuni une dizaine de participants de grands groupes pour débattre, avec les associés de DIAGMA, du DDMRP. Tous reconnaissent les apports de ce concept en termes de langage commun, d’incitation à se reposer les bonnes questions en matière de pilotage des flux de sa Supply Chain, mais aussi de motivation et d’implication des planificateurs. Certains participants qui l’ont mis en œuvre, évoquent des réductions importantes de lead times ou de stocks. Mais l’imputation à la seule méthode DDMRP, reconnue comme facilitatrice, ne fait pas l’unanimité. La difficulté à convaincre toute une entreprise, le côté empirique de la méthode et la confiance « a priori » qu’il faut avoir dans un système couplant S&OP et DDMRP pour sauter le pas sont autant de freins à la démarche. Des échanges animés qui montrent que le DDMRP suscite encore beaucoup de questions sur sa mise en œuvre, la cohabitation avec les SI existants (APS, ERP), le change management et l’impact à terme sur le métier des planificateurs.
Le vendredi 6 mars, une dizaine de participants de grands groupes (APERAM, ETEX, FIRMENICH, LVMH, SANOFI, WABTEC) ont répondu à l’invitation de DIAGMA pour échanger sur le thème : Pour ou contre le DDMRP* ? Pour libérer la parole, les participants s’expriment en leur nom et à huis clos, d’où ce résumé non nominatif de leurs propos.
Le DDMRP instaure un langage commun …
Un premier tour de table de présentation a permis de dégager une perception plutôt positive du concept de DDMRP. Le Demand Driven Material Requirement Planning est considéré par la majorité comme un concept facile à comprendre et malin dans sa reprise bien marketée de concepts existants. Il est surtout vu comme un langage commun propre à asseoir les bases d’une discussion approfondie avec les planificateurs de flux de divers sites (usines, entrepôts). « Pour la première fois, tout le monde parle le même langage et c’est d’une puissance incroyable ! », s’exclame l’un d’eux. Beaucoup, dont les associés de Diagma, reconnaissent que la nouvelle dynamique lancée autour du DDMRP incite les entreprises à se reposer les bonnes questions sur le paramétrage de leur Supply Chain. Deux participants insistent aussi sur la réhabilitation de la notion de stock qu’intègre le DDMRP, tandis que le Lean prônait leur suppression.
… mais d’une manière qui pourrait être améliorée
Quelques participants pointent toutefois la complexité du terme même de DDMRP et la lourdeur de la formation théorique (un sachant dispensant des centaines de slides en quelques jours). Sa promotion par le Demand Driven Institute (DDI) est même jugée « verrouillée » et « excessivement coûteuse ». « La première fois que j’ai suivi la formation, je n’ai dû en capter que 10 à 15% », avoue un participant. « C’est très dense. Il faut y revenir plusieurs fois parce qu’il y a énormément d’informations que l’on peut reprendre avec les parties prenantes, notamment sur les points de friction avec la finance », renchérit un autre. Une solution pourrait être de dispenser cette philosophie en interne par des formateurs certifiés et de la découper en portions plus ciblées par thème et par auditoire. Une manière aussi de susciter les échanges et de prendre le temps de bien faire comprendre les concepts.
Un manque de méthodologie de mise en œuvre
Ainsi, les participants sont soit globalement pour l’approche DDMRP, qu’ils estiment à la fois puissante, robuste et systémique, soit plus réservés et amusés par le prosélytisme des convaincus. Ceux qui l’ont mis en œuvre sont mitigés sur la manière de dispenser la formation tel que recommandé par le DDI (former tout le monde via des centaines de slides pour acquérir une vision et un langage commun). Deux manques sont également relevés : pas de méthodologie de mise en œuvre, ni d’indication sur le change management.
Des réductions de lead times et de stocks
Lors du tour de table se sont distinguées deux catégories de participants :
- ceux qui ont déjà mis en pratique le DDMRP
- ceux qui sont sceptiques et s’interrogent sur sa pertinence.
« Quels résultats concrets peut-on attendre du DDMRP demande l’un? « . « Nous avons réduit le lead time par 8 sur un pilote mené depuis un site de distribution à l’échelle européenne », avance un participant. Et de poursuivre : « Nous n’avons pas créé de stocks mais bufferisé des stocks existants, ce qui a donné une incroyable visibilité dessus. C’est par ce moyen que nous avons réalisé que nous pouvions réduire nos stocks et nos lead times. Nous n’avons pas accru notre CA, mais nos marges par la qualité des commandes servies ». Même avantage procuré par la visibilité accrue dans un autre cas : « Nous avons réduit de 30 à 70% le working capital sur les matières premières en mettant le DDMRP dans les usines. Nous avons vu tout de suite celles qui avaient 6 à 8 mois de stock, celles qui ne commandaient pas mais auraient dû et celles qui avaient commandé alors qu’elles n’en avaient pas besoin. Nous avons ainsi pu faire des arbitrages et embarquer les planners qui arrivaient très vite aux mêmes conclusions. »
Une prise de conscience partagées de lacunes internes
« La mise en place du DDMRP sur une usine a permis de dégager très vite 10 à 15% de capacité en plus », avance un autre. « Comme nous avions en parallèle un concurrent en difficulté, nous avons utilisé cette capacité pour prendre des parts de marchés ». Et de citer une autre mise en œuvre : « Nous avons réduit de 30% les stocks de produits de négoce sur 2 ans. Et comme nous avons tout regroupé sur un seul entrepôt, nous avons aussi baissé les coûts en diminuant les surfaces de stockage ». En plus des chutes de délais et de stocks, des participants soulignent la prise de conscience de lacunes d’organisation, de process et de données que soulève la mise en place du DDMRP.
La force du management visuel pour faire bouger les lignes
Mais du coup, ces résultats sont-ils imputables au DDMRP lui-même ou aux ajustements effectués à l’occasion de sa mise en œuvre ? « Chaque fois que je demande si les résultats sont dus à la démarche DDMRP, le réflexe est de me répondre : Ca on savait le faire… Cela existait déjà … Mais quand on demande pourquoi ils ne l’avaient pas fait depuis 5 ans, on s’aperçoit que le DDMRP a permis d’avancer », expose un participant. « C’est un outil puissant pour faire bouger les lignes, y compris à la finance, très cost-centric », complète un autre. « Le management visuel du DDMRP est une vraie force », renchérit un troisième. Ainsi, pour les participants, le principe des buffers avec des niveaux par couleur permet de visualiser simplement les situations et de prendre des décisions correctives facile à faire comprendre.
Une évolution à prévoir du rôle des planners
Autre impact du DDMRP évoqué par les participants : les planificateurs comprennent mieux les impacts de leurs décisions, d’où une plus grande sérénité (vs la tension du mode pompier) et une meilleure implication. En automatisant leurs tâches, les outils de calcul de buffers leur redonnent du temps pour mieux gérer les exceptions et comprendre davantage comment les produits se comportent sur les marchés. Les gains de productivité induits peuvent conduire à terme à réduire le nombre de planificateurs, voire à les regrouper dans une fonction centrale, avec un profil plus capé. « Si vous décidez qu’un planeur central s’investira plus dans la compréhension du comportement d’articles pour pouvoir prendre des décisions de masse, vous allez encore améliorer la valeur ajoutée de l’ensemble », estime un participant.
Mais comment le mettre en œuvre ?
Les participants ont beaucoup échangé sur les mises en œuvre empiriques de la démarche. En effet, comme l’a rappelé Yves Dallery, Associé de DIAGMA, la démarche DDMRP ne comporte pas de méthodologie de mise en place des points de découplage, ce qui pour lui est fondamental. Un participant reconnaît d’ailleurs que l’on ne les place pas toujours bien du premier coup et qu’il faut les réajuster, voire que parfois des données manquent pour le placer où on le voudrait.
Faut-il faire des prévisions de ventes ?
Une autre question a porté sur la nécessité ou pas de faire des prévisions de ventes. « On n’utilise pas de Forecast pour lancer des ordres de fabrication, mais on en utilise tout le temps pour dimensionner le modèle », assène un participant. Il ressort des débats que le DDMRP est un système de pilotage court terme qui utilise une logique de buffers pour protéger les flux et alerter. Ces buffers ont besoin d’être dimensionnés lors d’un processus S&OP (Sales & Operations Planning) qui élabore des scénarios de demande avec des hypothèses de pourcentages de variation qui « donnent la taille du tuyau ». Ainsi, le DDMRP ne fonctionne-t-il pas sans une couche supérieure de dimensionnement des capacités et de la demande.
Et comment gérer les produits saisonniers ?
Interrogés sur la gestion des produits saisonniers, les participants qui ont mis en œuvre le DDMRP répondent que savoir qu’un produit est saisonnier permet d’anticiper le redimensionnement du buffer en réunion S&OP. En revanche, ils reconnaissent que la propagation d’un pic de commande ponctuel d’un buffer à un autre n’est pas encore une option présente en automatique dans les outils et qu’une solution est de les gérer à la main, en tant qu’exception.
Des freins subsistent
« Une cause d’échec classique en DDMRP est l’oubli ou l’incapacité de traiter la partie dynamique de la gestion des buffers », analyse un participant. Mais avant d’en arriver là, encore faut-il avoir convaincu son dirigeant. « Le nom déjà n’est pas très sexy ! », s’amuse un participant qui reconnaît néanmoins, après avoir fait une synthèse des principes pour les diffuser en interne, que « mettre en images les notions de flux, la manière dont on rend des buffers dynamiques pour absorber la variabilité des flux, franchement : cela participe de la compréhension globale au-delà de la Supply Chain. C’est un formidable outil de dire que ça pilote le business, etc. Mais ensuite quand il faut le mettre en œuvre, c’est une autre histoire ! ». « Dire à mon patron que le DDMRP va redonner la banane à mes planners risque de ne pas suffire à le convaincre ! », rétorque un autre. « Et comment je fais pour communiquer mon plan à des autorités externes et justifier ensuite les écarts ? », interroge un autre. « Est-ce que le DDMRP est complémentaire aux ERP et aux APS ? » …
Une question de confiance …
Beaucoup de questions subsistent quant à la mise en œuvre, qui sont autant de freins au large déploiement du DDMRP. « Une des difficultés que j’ai toujours eues, c’est d’embarquer toute une entreprise car il y a énormément de gens à convaincre : IT, etc. », avoue un participant. Et un autre de nuancer : « C’est la même barrière qui bloque, que ce soit le DDMRP, le Machine Learning ou l’IA : à un moment, il faut faire confiance ! ». Sans doute le point le plus difficile, quel que soit le changement : en assumer la responsabilité …
Cathy POLGE
Directrice Marketing & Communication DIAGMA
* Le concept de DDMRP pour Demand Driven Material Requirement Planning a été introduit dans la 3ème édition de « Orlicky’s Materials Requirements Planning » de Carol Ptak et Chad Smith, en 2011. C’est « une méthodologie de flux tirés multi-niveaux pour la planification et la gestion des stocks. Elle permet à toute l’entreprise de s’aligner avec la demande réelle des marchés. Cette méthodologie fournit un processus simple et rapide pour la prise de décision, la planification et la mise en œuvre des actions » (source Fapics). Elle s’appuie notamment sur la définition de « buffers » (ou tampons) en stock, temps et capacité, placés aux points de découplage et de contrôles stratégiques de la Supply Chain. Le DDMRP s’intègre dans un modèle de pilotage plus vaste de pilotage des flux nommé DDOM pour « Demand Driven Operating Model » développé par le Demand Driven Institute (DDI).